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Ce manifeste s'est formulé lors d'un workshop à la fai-ar mené par Gabriella Cserhati du GK-COLLECTIVE autour d'un futur projet qui devrait commencer à prendre forme à la fin de la formation (juin 2025)
Si vous avez le goût pour vous plonger dans cette lecture, sachez qu'il s'agit d'une étape d'écriture. Il changera, s'affinera, se modifiera au fur et à mesure de l'aventure. 
Les deux citations viennent de l'introduction de Femmes qui courent avec les loups : histoires et mythes de l'archétype de la femme sauvage de Clarissa Pinkola Estés.
Ce texte est écrit au féminin. 

 

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Je suis une anomalie joyeuse, une antenne radio, une lumière infra rouge, une chercheuse des interstices, une collectionneuse de bouts de chiffons, de mots valises, de corps sonnants et trébuchants. Et comme je le veux bien, la metteuse en matière. La cheffe d’orchestre d’un futur projet avec lequel j’essaye d’ordonner ma pensée au fil de ce manifeste.

 

Un manifeste guide pour quand nous serons perdues 

ou mal attentionnées

ou mal réveillés 

 

J’écris car j’ai le droit d’écrire. J’ai le droit d'écrire car j’ai certains privilèges. Dont celui d’avoir le droit et le temps d’écrire. Et je ne prends pas ce droit à la légère.  

J’ai la peau claire,  j’ai deux bras et deux jambes. A vue d'œil, tout est bien à sa place. Je suis née femme, et si parfois je me sens poulpe, si par moment je me sens échappée aux définitions, aux idéaux à postiches, à la fin, je me sens femme. Je n’ai pas besoin de sculpter, dans la chaire toutefois, d’autres formes qui montreraient au monde l’image de mon dedans. J’ai de la chance. Je vous écris donc de mon point de vue de femme blanche cisgenre et française née d’une famille de classe sociale moyenne et intellectuelle, judéo-chrétienne. Nous pourrons ajouter à cette liste non exhaustive Queer et dyslexique pour être au plus juste de la description. Et si je veux bien me coller des post-its sur les joues, c’est qu' au moins, maintenant, vous savez d'où je parle. 


 

Nous sommes différentes

Nous sommes un certain nombre. Sous la terre nous grondons. 

Nous écrivons avec la conviction d’être libres. 

Et cette liberté est incandescente et vertigineuse. 

Nous l’avons volé très tôt à l’heure de l’école publique, quand les cloches carillonnent,  à l’heure de la récréation, des premières boums, des devoirs à la maison et des contrôles. 

Nous jouions mal à ces jeux. 

Car pour jouer à ces jeux il faut bien les comprendre. 

Longtemps nous avons fait comme-ci. 

Nous avons porté différentes sortes de masques, établi des listes et des réponses toutes cousues. Pourtant, nous ne savions toujours pas comment jouer avec vous. 

Nos tentatives tombaient à côté.


 

Tout est resté opaque. 

Nous voyons le monde sous l’eau. 

Vague. Flou. Striée. 

Nous restons à côté des manières. Des façons de faire. 

Depuis toutes petites. 

Nous voyons le monde sous l’eau

Vague. Flou. Striée.

Mais en colère. 

Trouver sa place. Dans un territoire défini. À vos côtés.

Nous ne l’avons pas trouvé

Nous avons et continuons à inventer la nôtre. 

Nous n'avons pas grand chose à perdre. C’est de ce constat que germe en nous le sentiment de liberté. 

Et cachées comme des rats, nous grondons. 


 

Alors,

Nous avons appris à encercler. 

Nous trouvons des entres, des lisières, nous pistons les chemins non cartographiés. Hors cadre. 

Nous reniflons, nous guettons, nous creusons, nous sillonnons les territoires où se reposer. 

Nous n'avons pas tellement peur du monde que l’on nous propose.  Nous n'avons juste pas de réponse à lui donner. Nous pressentons qu’il doit y avoir autre chose pour nous, que d’autres ont déjà appelé de leurs cœur. Nous aimerions vous retrouver. Vous retrouvez dans un passage. 

Faire meute. 

Contagion 

 

À force, j’ai trouvé un toît, une cabane utopique sous laquelle je m'abrite. L’art est mon abri.  Elle à sauver ma vie.

C'est vrai ! 

car c’est la seule au monde qui reste, pour moi, sauvage et indomptée, qui file comme de l’eau entre les mains. Où la différence à le droit d’être explorée et montrée. Je me suis sentie invitée par sa forme chimérique. J’ai atterris dans ce monde  par hasard. Je n’avais nulle part où m'inscrire, je ne servais à rien pour la société. L’art est un champ de recherche immense. C’est une bonne cachette pour les couteaux suisses. En creusant ma tanière je cherche des mortes vivantes comme moi. Et j’en ai trouvé à la pelle. Nous sommes nombreuses à marcher comme des parias dans ce monde. Et nos histoires m'inspirent. Assez, il semblerait, pour me donner le goût de nous rassembler afin de créer.  Et peut-être, si la chance nous sourit,  de déborder…


 

J’écris pour mes amies poétesses, celles qui savent prendre le vent dans leurs faces pour retrouver le sens de la marche. Elles qui sont freaks et inclassables, trop sensibles, sans peaux, pleines de bric et de broc qui cognent et résonnent dans leurs grands corps parlants. J’écris pour les  “troubadours, bardes, cantadoras, cantors, poètes, voyageurs, vagabonds, vieilles sorcières et esprits dérangés”. 

J’écris pour celle que j’appelle. Pour les invisibles, les êtres utilisés et fragilisés. Celles que l’on cache dans un placard, dans un asile, dans un Ime, dans un ehpad, dans un HLM. Pour celles à qui ont à volé la voix, le corps, la pensée, l’usage de la rue, le droit d’être vu et reconnu pour ce qu'elles sont. Pour celles qui dialoguent avec leurs chats car elles n’ont personne d’autres avec qui parler. 

Pour les bergères et les pirates, les gens du voyages, les juments et les brebis.  Celles qui avancent. galopent. marchent dans le brouillard sans s’arrêter. 

 

Mais j’écris ce manifeste POUR le monde qui nous musèle. 

 

Ecrire pour dire que :

 

Nous refusons que nos vies soient une gigantesque montagne d’ordures. 

Un monticule de plastique. 

Une benne à merde et à sang. 

Nous disons que nous ne voulons pas ni dans nos spectacles ni dans nos vies ni dans cette intervalle :

Nous servir, 

être utile au capital, 

piller les ressources afin de nous éclairer,

Avoir une pitié bienveillante envers les précaires ou les gens différents, 

Faire de l’art social afin de colmater votre cruauté

 

j’affirme que: 

Nous voulons rendre la monnaie

Rendre visible une pensée étrange 

Rendre étrange une pensée visible, 

Que l’on nous entendent 

Nous disons que la pensée des invisibles doit être entendue, que nous les êtres parasites que l’on a tu, nous avons le pouvoir de faire la révolution, par notre seule présence.

Nous disons que nous avons le pouvoir de réparer les vivantes et les mortes, 

Nous affirmons que vous avez vos raisons de ne pas vouloir nous voir traîner dans vos rues, 

vous ne voulez pas de nous car : 

vous savez que nous portons en nous le germe de la révolution.

le germe d’un monde sensible, plus lent, plus émotionnel, cathartique, 

Un monde d’explorations, mouvants, instables. 

Un monde qui valoriserait la différence. Le chaos. Le multiple. L’insolvable. La joie. L’empathie. 

Un monde diamétralement opposé au nazisme, dont à bien des égards vous n’êtes jamais sortie

Un monde ou : 

Le genre, l’ethni, l’animal, le végétal, le minéral

toutes ces catégorisation irait valser loiiiiiinnnnnnnn de nous 

Dans un musée peut-être (existerait-il encore?)

Peut être que si vos fous étaient dehors le monde serait moins névrosé, l’humaine moins seule, elles contrecarreraient les diktats esthétiques, les hontes de l’imperfection. 

Je veux faire des formes qui disent que les folles c’est vous !

cette société qui collapse

 

Je dis que je ne veux pas faire un art de pacotille

un art d’agrément

Pour notre monde en dérive 

 

Nous ferons ce que nous sommes : un art des profondeurs, brisé de joie, épidermique, qui creuse dans les organes, qui fracasse vos yeux de beauté et d’étrangeté, un art qui vous hurle nos cicatrices. Car elles sont béantes. 

“Nous ouvrirons des brèches en nous afin de laisser parler cette voix plus ancienne que les pierre”

une forme qui vous déplace. 

que vous vous demandiez après, longtemps après,

(il faudra bien qu’on vous hante) 

si le monde que vous avez choisi est bien le bon. 

 

Je veux : 

 

Faire l’éloge des monstres, des perdantes, de l’idiote du village, de la prolétaire rustre, des trop sensibles, des trop laides, des analphabètes, des personnes en situation de handicapes visibles ou invisibles, des mal baisées, des mariées de forces, des violées, des trop vieilles ou trop cassées.  

Je veux faire jouer toutes ces vies sacrifiées par les conséquences collatérales du monde libéral, capitaliste, colonial et patriarcal. 

Qu’elles soient 

Les héroïnes de nos spectacles, de nos dessins, de nos photos, de nos danses, de nos silences,


 

Les héroïnes de nos vies

Car je suis elles et elles sont nous, et j’en suis sur, vous toutes. 

Car nous sommes toutes pitoyables. Et c’est réconfortant. 



 

Je finirais pas affirmer que : 

 

Je choisis la rue, le dehors, le non dédié, 

Nous choisissons de reprendre nos droits dans l’espace dit public. 

Nous ne nous cacherons pas dans des boîtes noires pour nous donner en spectacle aux bourgeois. Vous n’êtes pas au zoo! Il n’y aura pas de frontière entre vous et nous!

De plus, je veux sentir le pouls de la ville et de la ruralité sur et sous ma peau. Je veux être le sismographe d’une zone. Travailler en territoires singuliers. 

Pour me sentir empuissancée par les présences, le flux du monde, tout ce qui traîne, racole, crache et joue.  

Je ne créerais que sous ces conditions. 

Je veux prendre la température de la crise climatique, 

Sentir le trop de soleil et le trop de pluie, 

Sentir chaque jour un peu plus l'effondrement de notre monde, 

Affronter la réalité. Nous ne fuirons pas. Nous ferons avec. 

Nous serons travailleuses de l'asphalte et de la boue.

 

Aussi 

Nous n’aurons de cesse de rechercher des zones abandonnées

des zones qui ne sont plus digne d’être

vues

visitées

habitées

des zones qui abritent des histoires depuis longtemps oubliées,  

 

Nous traînerons dans les décombres, hantés par le temps

Nous jouerons dans les stigmates des lieux de passages, des ruines, 

Nous érigerons des kerns 

Ferons de la sorcellerie. 







 

Prenez patience, nous arrivons. 

© 2025 by Lou M.

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